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Texte de
Anne-Michèle Hamesse
Anne-Michèle Hamesse
Enrique Karabitian
OBRAS
Dès l’entrée à la Médiatine, vous le ressentez.
Il règne ici un parfum d’éternité.
Il ne se démentira pas tout au long de votre visite.
Bienvenue dans l’univers d’Enrique Karabitian.
La rencontre avec l’homme et ses oeuvres est une expérience rare, impression de retrouver un vieil ami perdu de vue.
Karabitian, génial et ludique, métamorphose tout ce qu’il touche.
Dès l’entrée dans la première salle deux grandes toiles vous éclairent, serait-ce une traduction picturale de l’éternité? Tout y suggère l’infini,.
Plus loin un visage aveugle s’échappe, échappe à l’artiste même qui y revient souvent, avec la persévérance d’un Giacometti traquant les visages.
Il s’approprie les matières, les transforme, les malaxe jusqu’à ce que, changées, elles finissent pas renaitre, transformées, revisitées, sculptées par le maître, qui y ajoute ses couleurs, ses formes, son inventivité, sa fantaisie.
C’est donc bien à une naissance qu’on assiste, il m’a ainsi décrit la transformation d’une oeuvre, passée au four, emmaillotée, cuite et qui ressort comme neuve, magnifiée, méconnaissable, digne de figurer parmi les joyaux les plus beaux de sa collection.
C’est à une exposition exceptionnelle que nous sommes conviés, elle déborde de dessins qui laissent passer des nuages, le temps de rêver, et d’autres dessins apparaissent dans le ciel comme quand on jouait, enfant, au jeu des nuages qui dessinent des formes, on les voit apparaitre et bouger, gros et chevelus, on dirait des anges bouillonnants.
Des personnages enchevêtrés se tordent, se débattent, veulent sortir de leur condition pour se hisser plus haut.
L’univers parfois se fragmente en de multiples brisures.
La dimension de cet artiste est avant tout spirituelle, ce n’est pas par hasard qu’il a été exposé à la Cathédrale Saints- Michel-et- Gudule et que ses oeuvres inspirent ceux qui y ressentent une grande ferveur enrobée d’un silence particulier, celui qui sied aux autels.
Voyez ces sculptures d’humains, petits personnages qui s’élancent vers le haut, toujours en quête de l’un peu plus haut, mais qui restent malgré tout liés au sol, rivés au sol, duquel ils tentent de s’échapper, s’échapper du bas réel qui emprisonne, rejoignant le rêve de tous ceux qui rêvent de l’élévation et de liberté.
Comme cette sculpture dédiée à Mandela.
Le désir de libération, exprimé dans l’oeuvre de Karabitian se voit souvent contrarié dans ces figures entravées, ancrées au sol en dépit de leur échappée vers le haut, le très haut.
Il fait penser à Christian Bobin dont la poésie inspirée maniait si bien cette tentation de la hauteur, cette aspiration au sublime.
Mais il ne faut pas se méprendre, Karabitian est aussi un homme concret, pratique et efficace, il met la main à la pâte en travailleur vaillant, il connait tous les métiers, les matières et les façons de les traiter.
Sa formation première est la géologie et cette science continue à l’habiter et oriente ses pratiques qui restent très terriennes.
Et toujours dans ses fusains et aquarelles, les recherches quasi frénétiques de la figure humaine qui toujours se dérobe, que l’artiste essaie de retenir, de la main et du doigt, qui lui échappe encore, et il insiste, entre renoncement et travail acharné, c’est le mythe de Sisyphe que Karabitian revit, tel Giacometti, inlassablement.
Cette obstination se déchiffre entre autres dans cette figure noire, aveugle.
L’obsession de capturer l'humain et son visage dans un portrait qui lui échappe toujours.
Ce torse lié maintenu par des ligatures arachnéennes.
Et puis au final ces taches d’infini, ce jaillissement de couleur, où s’invite le bleu, qui chante et exulte et nous parle de Turner.
Et toujours ces personnages malmenés, entravés, inachevés, en quête d’envol mais retenus à terre.
Il y a aussi ces figures au lavis, du travail a la cire perdue.
Des silhouettes percent la brume, les nuages, voient le jour au milieu de la buée, tentant d’apparaitre pour naître à la lumière.
Parfois surgissent des formes humaines, des étreintes, tourmentées, noires, entourées d’étranges créatures vivantes, poissons ou insectes on ne sait pas, les mouvements composent une grande symphonie, et subitement, le rythme se fait, le miracle a lieu.
Toute oeuvre de Karabitian est là, une harmonie naît et se crée presque à son insu.
Et parfois le vivant s’impose, l’image d’une minuscule araignée inattendue s’invitait l’autre jour aux côtés d’un dessin placé sur le mur blanc de la Médiatine, tout l’oeuvre de Karabitian est contée dans cet évènement: l’arrivée insolite d’un insecte près d’un dessin, qui donne à l’oeuvre ce supplément d’âme et de vivant, la transforme et la fait évoluer au-delà de son existence, elle poursuit ainsi ses métamorphoses, ne fut-ce que par l’arrivée impromptue d’une petite araignée.
Karabitian est aussi cet enfant qui joue à se raconter une histoire dont il ne connait pas la fin, qu’il se raconte pour se surprendre et nous surprendre. Ainsi va son travail.
Il s’amuse aussi à provoquer des rencontres entre ses dessins, les range, en modifie la place, les fait se juxtaposer, leur donne du sens, ils s’inscrivent dans une croix, se frôlent et se côtoient, deviennent un jeu de cruciverbiste, mais à la fin le puzzle s’ordonne et prend sens sous l’oeil étonné de l’artiste qui se prend à son jeu et s’en émerveille.
Cette exposition, importante et unique, nous touche et s’imprègne de ce qui a été, de tout temps, le seul propos signifiant de l’Art.
Karabitian se fait créateur intemporel.
Comme l’évoquait André Malraux dans La Tête d’Obsidienne il emprunte l’itinéraire des plus grands, depuis l’Art Pariétal en passant par tous les autres, tous ces styles qui se sont télescopés, chevauchés et influencés, de toutes les manières et de toutes les expressions, jusqu’à celles de notre temps.
Karabitian s’inscrit ainsi dans la lignée magnifique des grands créateurs, les faiseurs d’art, à l’égal des demi-dieux.
La visite de cette exposition à la portée mystique importante nous invite à une quête permanente de l’Indicible, une adoration silencieuse, un appel à gravir les hautes marches d’un art qui s’apparente à la prière.
Comme un pèlerinage enchanté, un cri immense.
Dont les échos retentiront longtemps en vous, bien après votre départ de la Médiatine.
Anne-Michèle Hamesse
Septembre 2023.
A la Médiatine
Allée Pierre Levie 1
1200 Woluwe-Saint-Lambert.
du 28 septembre au12 novembre 2023.
du mercredi au dimanche de 14 à 18 heures.
OBRAS
Dès l’entrée à la Médiatine, vous le ressentez.
Il règne ici un parfum d’éternité.
Il ne se démentira pas tout au long de votre visite.
Bienvenue dans l’univers d’Enrique Karabitian.
La rencontre avec l’homme et ses oeuvres est une expérience rare, impression de retrouver un vieil ami perdu de vue.
Karabitian, génial et ludique, métamorphose tout ce qu’il touche.
Dès l’entrée dans la première salle deux grandes toiles vous éclairent, serait-ce une traduction picturale de l’éternité? Tout y suggère l’infini,.
Plus loin un visage aveugle s’échappe, échappe à l’artiste même qui y revient souvent, avec la persévérance d’un Giacometti traquant les visages.
Il s’approprie les matières, les transforme, les malaxe jusqu’à ce que, changées, elles finissent pas renaitre, transformées, revisitées, sculptées par le maître, qui y ajoute ses couleurs, ses formes, son inventivité, sa fantaisie.
C’est donc bien à une naissance qu’on assiste, il m’a ainsi décrit la transformation d’une oeuvre, passée au four, emmaillotée, cuite et qui ressort comme neuve, magnifiée, méconnaissable, digne de figurer parmi les joyaux les plus beaux de sa collection.
C’est à une exposition exceptionnelle que nous sommes conviés, elle déborde de dessins qui laissent passer des nuages, le temps de rêver, et d’autres dessins apparaissent dans le ciel comme quand on jouait, enfant, au jeu des nuages qui dessinent des formes, on les voit apparaitre et bouger, gros et chevelus, on dirait des anges bouillonnants.
Des personnages enchevêtrés se tordent, se débattent, veulent sortir de leur condition pour se hisser plus haut.
L’univers parfois se fragmente en de multiples brisures.
La dimension de cet artiste est avant tout spirituelle, ce n’est pas par hasard qu’il a été exposé à la Cathédrale Saints- Michel-et- Gudule et que ses oeuvres inspirent ceux qui y ressentent une grande ferveur enrobée d’un silence particulier, celui qui sied aux autels.
Voyez ces sculptures d’humains, petits personnages qui s’élancent vers le haut, toujours en quête de l’un peu plus haut, mais qui restent malgré tout liés au sol, rivés au sol, duquel ils tentent de s’échapper, s’échapper du bas réel qui emprisonne, rejoignant le rêve de tous ceux qui rêvent de l’élévation et de liberté.
Comme cette sculpture dédiée à Mandela.
Le désir de libération, exprimé dans l’oeuvre de Karabitian se voit souvent contrarié dans ces figures entravées, ancrées au sol en dépit de leur échappée vers le haut, le très haut.
Il fait penser à Christian Bobin dont la poésie inspirée maniait si bien cette tentation de la hauteur, cette aspiration au sublime.
Mais il ne faut pas se méprendre, Karabitian est aussi un homme concret, pratique et efficace, il met la main à la pâte en travailleur vaillant, il connait tous les métiers, les matières et les façons de les traiter.
Sa formation première est la géologie et cette science continue à l’habiter et oriente ses pratiques qui restent très terriennes.
Et toujours dans ses fusains et aquarelles, les recherches quasi frénétiques de la figure humaine qui toujours se dérobe, que l’artiste essaie de retenir, de la main et du doigt, qui lui échappe encore, et il insiste, entre renoncement et travail acharné, c’est le mythe de Sisyphe que Karabitian revit, tel Giacometti, inlassablement.
Cette obstination se déchiffre entre autres dans cette figure noire, aveugle.
L’obsession de capturer l'humain et son visage dans un portrait qui lui échappe toujours.
Ce torse lié maintenu par des ligatures arachnéennes.
Et puis au final ces taches d’infini, ce jaillissement de couleur, où s’invite le bleu, qui chante et exulte et nous parle de Turner.
Et toujours ces personnages malmenés, entravés, inachevés, en quête d’envol mais retenus à terre.
Il y a aussi ces figures au lavis, du travail a la cire perdue.
Des silhouettes percent la brume, les nuages, voient le jour au milieu de la buée, tentant d’apparaitre pour naître à la lumière.
Parfois surgissent des formes humaines, des étreintes, tourmentées, noires, entourées d’étranges créatures vivantes, poissons ou insectes on ne sait pas, les mouvements composent une grande symphonie, et subitement, le rythme se fait, le miracle a lieu.
Toute oeuvre de Karabitian est là, une harmonie naît et se crée presque à son insu.
Et parfois le vivant s’impose, l’image d’une minuscule araignée inattendue s’invitait l’autre jour aux côtés d’un dessin placé sur le mur blanc de la Médiatine, tout l’oeuvre de Karabitian est contée dans cet évènement: l’arrivée insolite d’un insecte près d’un dessin, qui donne à l’oeuvre ce supplément d’âme et de vivant, la transforme et la fait évoluer au-delà de son existence, elle poursuit ainsi ses métamorphoses, ne fut-ce que par l’arrivée impromptue d’une petite araignée.
Karabitian est aussi cet enfant qui joue à se raconter une histoire dont il ne connait pas la fin, qu’il se raconte pour se surprendre et nous surprendre. Ainsi va son travail.
Il s’amuse aussi à provoquer des rencontres entre ses dessins, les range, en modifie la place, les fait se juxtaposer, leur donne du sens, ils s’inscrivent dans une croix, se frôlent et se côtoient, deviennent un jeu de cruciverbiste, mais à la fin le puzzle s’ordonne et prend sens sous l’oeil étonné de l’artiste qui se prend à son jeu et s’en émerveille.
Cette exposition, importante et unique, nous touche et s’imprègne de ce qui a été, de tout temps, le seul propos signifiant de l’Art.
Karabitian se fait créateur intemporel.
Comme l’évoquait André Malraux dans La Tête d’Obsidienne il emprunte l’itinéraire des plus grands, depuis l’Art Pariétal en passant par tous les autres, tous ces styles qui se sont télescopés, chevauchés et influencés, de toutes les manières et de toutes les expressions, jusqu’à celles de notre temps.
Karabitian s’inscrit ainsi dans la lignée magnifique des grands créateurs, les faiseurs d’art, à l’égal des demi-dieux.
La visite de cette exposition à la portée mystique importante nous invite à une quête permanente de l’Indicible, une adoration silencieuse, un appel à gravir les hautes marches d’un art qui s’apparente à la prière.
Comme un pèlerinage enchanté, un cri immense.
Dont les échos retentiront longtemps en vous, bien après votre départ de la Médiatine.
Anne-Michèle Hamesse
Septembre 2023.
A la Médiatine
Allée Pierre Levie 1
1200 Woluwe-Saint-Lambert.
du 28 septembre au12 novembre 2023.
du mercredi au dimanche de 14 à 18 heures.